09 September 2020

Tribune sur la rémunération des CGP : un modèle adapté aux attentes des épargnants

Retrouvez ci-dessous l'intégralité de la tribune de Julien SERAQUI  parue dans le magazine Gestion de Fortune de Septembre 2020 (n° 316, pages 36 à 40) : 

Un modèle adapté aux attentes des épargnants français

Deux ans après l’entrée en vigueur de la directive MIF 2, un premier projet de révision de ce texte porté par la Commission européenne traite, entre autres, des modes de rémunération.

En France, le système actuel basé sur le commissionnement et les honoraires a assuré la pérennité du service et du conseil apporté aux épargnants durant la crise sanitaire. 

Pour le compte de la Commission européenne, l’ESMA, l’autorité en charge de la supervision du secteur financier a rendu fin mars un rapport traitant, entre autres, des modèles de rémunérations retenus par les différents intermédiaires en Europe (1). Le superviseur européen se positionne ainsi vis-à-vis de la directive sur les marchés financiers (MIF II) qui s’applique aux conseillers en investissements financiers français (CIF) depuis le 8 juin 2018 seulement et qui n’a pas encore eu le temps de produire tous ses effets.

Dans cet avis technique, le superviseur rappelle un des grands principes édictés par la directive, à savoir la perception des commissions sur des instruments financiers par le CIF est autorisée à la condition d’être justifiée par l’amélioration de la qualité du service rendu au client. Il est par ailleurs - et bien évidemment - nécessaire que cette intervention soit réalisée de manière loyale et dans l’intérêt de l’épargnant. Pour ce dernier, le droit au commissionnement du conseiller est assorti d’une garantie supplémentaire. La relation d’affaires est en effet caractérisée par la transparence: une information sur les coûts ex ante doit être communiquée, celle portant sur les frais ex post doit être transmise au moins une fois par an.

Pour un épargnant, la question de l’appréciation de l’amélioration du service rendu pourrait éventuellement se poser. Dans une telle hypothèse, l’autorité rappelle que les critères permettant de justifier des commissions reposent notamment sur la faculté pour un intermédiaire de permettre au client d’accéder à un large éventail d’instruments financiers autres que des produits “maison”. A cet expert revient également la faculté de s’assurer au moins une fois par an de l’adéquation des instruments financiers avec la situation de son client ou de revoir l’allocation d’actifs si nécessaire. Il est aussi question de mettre l’épargnant en capacité d’accéder à des outils de contrôle et de reporting portant sur la performance et les frais de leurs instruments financiers.

 

Les recommandations de l’ESMA

 Une fois rappelé le principe posé par la directive MIF II, dans son avis technique, l’ESMA recommande à la Commission européenne d’étudier, avant tout, les effets des différentes réglementations européennes, élaborées sur la base de MIF II, sur la distribution d’instruments financiers. Elle considère qu’il est nécessaire de mesurer l’impact de l’interdiction des commissions sur les différents modèles de distribution existant dans l’Union européenne. Il s’agit également de s’intéresser aux actions à mener pour contrebalancer les effets négatifs d’une éventuelle interdiction des commissions. Pour autant, à aucun moment l’Autorité se positionne en faveur d’une suppression du commissionnement au niveau européen.

Les régulateurs nationaux sollicités. Pour élaborer ses préconisations, le superviseur a recueilli la position de régulateurs nationaux. Par exemple, la BAFIN, l’autorité allemande de régulation, a retenu que si la majorité des investisseurs sont en demande d’informations sur les coûts, celles-ci n’ont que peu d’impact sur leur comportement, même lorsqu’elles sont libellées de manière compréhensible. La BAFIN relève par ailleurs que l’étroitesse de la relation entretenue avec l’intermédiaire financier compte davantage que la manière dont ils sont rémunérés. Du côté des autorités de tutelles du Royaume-Uni et des Pays-Bas, la suppression du commissionnement a permis de réorienter l’épargne vers des instruments financiers à coût plus faible, sans pour autant que l’incidence du coût des honoraires sur le nombre d’épargnants en capacité d’accéder à ce service financier soit analysé. Ces superviseurs soulignent également une réduction des conflits d’intérêts pour les conseillers ainsi qu’une plus grande compétitivité entre les producteurs. 

L’ESMA prend soin de rappeler que l’incidence d’une interdiction des commissions serait très différente d’un pays à un autre au regard notamment de la structure de distribution privilégiée. Il est à craindre en effet que des modèles à architecture fermée émergent sur les marchés où les banques jouent un rôle de distribution important. En conséquence, les établissements bancaires seraient susceptibles de conseiller uniquement des produits maison ou des produits des sociétés de gestion de leur groupe. Ils pourraient également contourner l’interdiction des commissions en se versant des dividendes à partir de ces sociétés de gestion captives. Autre constat, même si l’interdiction des commissions était de nature à renforcer la place occupée par les conseillers indépendants - ce qui ne s’est pas encore matérialisé, souligne l’ESMA -,les banques seraient susceptibles de renoncer aux métiers du conseil au profit des services d’exécutions uniquement. Une telle transformation en profondeur du marché de la distribution des instruments financiers pourrait prendre des années tandis que les effets négatifs se diffuseraient plus rapidement que les effets positifs. Enfin, l’interdiction des commissions uniquement sur les instruments financiers serait de nature à créer une concurrence déloyale avec d’autres produits d’investissements, à l’image des produits d’investissements assurantiels.

En parallèle, l’ESMA fait valoir qu’il est nécessaire d’améliorer la compréhension par les clients de l’impact des formes de rémunérations sur le conseil en obligeant les distributeurs à comparer des produits de même type entre eux et en présentant les frais et les rémunérations dans un langage clair. Une autre piste consiste à expliquer de manière pratique aux clients les raisons pour lesquelles les commissions assurent une amélioration du service rendu. Soulignons d’ailleurs que les CGP français sont déjà en capacité, et contrairement à d’autres réseaux de distribution, de proposer à leurs clients différents produits d’investissement sur la base d’une étude comparative.

Afin d’éviter les systèmes à architecture fermée, l’ESMA propose d’obliger les producteurs à comparer le produit préconisé avec des solutions extérieures comparables. L’objectif consiste à s’assurer que l’intérêt du client est bien respecté et qu’il n’y a pas de conflit d’intérêt. De plus, les producteurs pourraient être obligés de tenir un registre mis à la disposition de leur tutelle afin d’identifier les clients qui auraient souscrits des produits maison durant les douze derniers mois. Dans l’hypothèse où un modèle en architecture fermée serait maintenu, le critère d’amélioration de la qualité du service y serait associé.

Côté français, parmi les enseignements qui peuvent être tirés de la crise sanitaire actuelle, il en est un qui est de nature à renforcer les convictions à l’égard du modèle économique sur lequel repose le conseil en gestion de patrimoine. Pour un professionnel (2), la liberté de choix entre une rémunération basée sur des honoraires, des commissions, voire leur association, est de nature à assurer une stabilité certaine de son activité, d’autant plus importante en période de crise. Un sondage réalisé par la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP) auprès de ses adhérents durant le mois d’avril témoigne de cette situation.

 

La stabilité du modèle français...

Il ressort de cette étude que seuls 25 % des cabinets de CGP ont mis en place un dispositif de chômage partiel et ils sont moins nombreux encore (10 %) à avoir eu recours aux aides publiques. Pour mémoire, dans le même temps, l’économie française a subi de plein fouet la mise au chômage partiel d’un très grand nombre de salariés, tandis que les entreprises ont largement recouru au prêt garanti par l’Etat et que les marchés boursiers ont connu l’un des krach les plus importants de leur histoire. Pourtant, au niveau des cabinets membres de la Chambre, la moitié a déclaré ne pas avoir subi de baisse de chiffres d’affaires, si ce n’est dans une faible proportion. Du côté de leurs clients, le confinement a été vécu avec peu ou pas d’inquiétude par 40 % d’entre eux. Le gain pour l’épargnant français est fondamental, il est assuré de profiter de l’aide pérenne d’un professionnel du conseil financier. Cette assurance est d’autant plus indispensable que la disponibilité et la qualité du conseil sont déterminantes lors des périodes de grande instabilité.

 

... associant commissionnement et honoraires

La CNCGP représente aujourd’hui 1.660 cabinets de conseils en gestion de patrimoine. En conseillant 605.000 clients, ils ont la charge de plus de 68 milliards d’euro d’actifs conseillés. Pour se rémunérer, ils disposent de la capacité de choisir leur mode de rémunération à la condition de le porter à la connaissance de l’épargnant. Par exemple, un conseiller peut être rémunéré par le biais de commission mais aussi sur la base d’honoraires.

Loin de reposer sur l’unique modèle du commissionnement, le chiffre d’affaires des adhérents de la Chambre repose également sur des honoraires de gestion patrimoniale et des honoraires perçus sur la base de leur activité de CIF. Ils sont ainsi 79 % à déclarer un chiffre d’affaires sur la base de rétrocessions CIF, 61 % à percevoir des honoraires de gestion patrimoniale et 32 % à déclarer un CA en honoraires CIF (3). En termes de répartition de chiffre d’affaires, la rémunération des membres provient à 17 % de rétrocessions CIF, à 5 % d’honoraires de gestion patrimoniale et à 3 % d’honoraires CIF.

Une rétrocession moyenne sur frais de gestion est de 0,32 %. Si de manière générale les autorités de régulation s’intéressent aux coûts et au frais supportés par les clients, l’AMF s’est récemment penchée sur la question de la rémunération des conseillers en investissements financiers. Elle a ainsi récemment retenu (4) que la rétrocession moyenne sur frais de gestion est de 0,32 %. Ce qui revient à établir le coût d’un conseil qualifié et pérenne, dans l’hypothèse du suivi de clients disposant d’un encours moyen de 100.000 euros, de l’ordre de 25 euros par mois.

 

Le risque de l’”Advice gap”

Face aux réflexions européennes, ils apparaît donc primordial de demeurer particulièrement vigilant sur le sujet des modèles de rémunération dans la mesure où l’interdiction des incitations dans certains pays européens a engendré une évolution défavorable aux intérêts des épargnants en les privant de l’accès au conseil, phénomène appelé « advice gap ». Dans ces pays, seuls les clients les plus fortunés, mieux à même de supporter le coût de la facturation des honoraires de conseil, ont accès aux services des conseillers financiers. Ainsi, la majorité des épargnants n’a plus accès à un conseil personnalisé. Or, en France, le conseil est obligatoire lors de la préconisation de produits d’investissements financiers ou assurantiels. D’ailleurs comment préconiser un investissement financier sans conseil dans une période de crise comme celle qui a marqué le printemps 2020? 

Remettre en cause le modèle du commissionnement pourrait entraîner des conséquences préjudiciables au regard de l’ampleur des décisions d’investissements que les épargnants seront appelés à effectuer. Un exemple, à l’heure d’une baisse drastique et irrémédiable des taux de rendements des fonds euros des contrats d’assurance vie, comment pourraient-ils sélectionner des supports alternatifs de manière pertinente sans assistance ?  Il est à rappeler également que les autorités, l’AMF et l’ACPR en tête, appellent à une plus grande vigilance des acteurs de la Finance à l’égard des personnes vulnérables, ce qui nécessite de manière certaine un suivi adapté de la part des conseillers. Quant au lancement du Plan d’Epargne Retraite, celui-ci implique une formation appropriée des conseillers en vue d’une préconisation adaptée aux clients qui souhaitent souscrire une telle offre. Pour être un succès commercial, ce nouveau produit nécessite l’expertise de conseillers formés à ses subtilités afin de fournir un conseil personnalisé au plus grand nombre.

 

Rendre l’information compréhensible

Aujourd’hui, il s’agit moins de prendre position en faveur d’un type de rémunération que de prévenir le risque induit par l’option en faveur d’un unique modèle. Il doit également être rappelé que les obligations qui existent en matière de transparence sont déjà non seulement trop détaillées dans MIF II mais surtout, comme le rappelle l’ESMA, elles ne sont pas compréhensibles par l’épargnant et font l’objet dans leurs modalités de calcul d’approximations regrettables. Par ailleurs, les réflexions sur la révision de MIF II ont permis d’identifier un problème connu depuis longtemps par les professionnels : lorsque le client fait face à une trop grande masse d’informations, il ne sait plus sur lesquelles concentrer son attention et peut être amené à manquer les plus importantes. Une information plus concise qui pourrait varier avec le niveau de connaissance du client pourrait être une solution.

La réflexion européenne autour de la révision de la directive MIF II semble donc l’occasion idéale pour sanctuariser le principe d’une rémunération basée sur les commissions et les honoraires, et travailler sur un modèle d’information à la portée des épargnants. Surtout, elle pourrait être un moyen de remettre en cause les initiatives nationales visant à recourir de manière trop opportuniste et sans justification objective à l’encadrement de certaines rémunérations. Il ne saurait être envisageable qu’un tel encadrement, récemment retenu en France en ce qui concerne les frais de gestion des plans d’épargne en actions (PEA) devienne une ligne conductrice de l’Administration. Nulle trace d’un tel principe dans l’ensemble des textes européens publiés ces dernières années et que le législateur français se devrait d’appliquer. Le danger d’une sur-transposition est ici manifeste.

 

  1. https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/esma35-43-2126_technical_advice_on_inducements_and_costs_and_charges_disclosures.pdf
  2. Entendu comme un conseiller en gestion de patrimoine disposant d’une pluralité de statuts (CIF, IAS, IOBSP, carte T, CJA)
  3. Rapport d’activité CNCGP - 2019
  4. AMF - Les données d’activité 2018 des conseillers en investissement financiers - Décembre 2019